Spectacle vivant : entre diversité artistique, enjeux économiques et résistances à la mondialisation

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Théâtre, danse, arts de rue, opéra, musique live, marionnettes, illusionnisme, cirque… le spectacle vivant est un socle de l’identité culturelle française. Encadré par le ministère de la Culture, ce secteur foisonnant couvre toutes les disciplines artistiques exigeant la présence d’un artiste en chair et en os, rémunéré pour une représentation publique. En 2019, il représentait 7,6 milliards d’euros, soit 15 % de l’économie culturelle, devant l’édition. Un poids économique et symbolique considérable.

En 2017, les seuls théâtres privés ont attiré plus de 6,4 millions de spectateurs, dont les deux tiers à Paris. Derrière ces chiffres, ce sont des milliers de professionnels qui œuvrent chaque jour, entre intermittents, régisseurs, programmateurs, metteurs en scène, costumiers et autres administrateurs. Ce tissu humain est constitué à 66 % d’intermittents, et à plus de 40 % de structures de moins de cinq salariés. Une réalité qui démontre la fragilité et la fragmentation du secteur, où peu d’acteurs concentrent une large part de l’audience : 6 % des représentations drainent à elles seules près de 49 % des entrées. Décryptage !

Une géographie culturelle dense, mais inégalement fréquentée

Le spectacle vivant se vit dans une multitude de formats, notamment les petites salles de 200 places ou moins, les scènes nationales, les festivals, les chapiteaux, les théâtres de ville ou les scènes en plein air. On recense 5 théâtres nationaux, 38 centres dramatiques nationaux, 74 scènes nationales, 13 centres des arts de la rue, 19 centres chorégraphiques, ou encore 17 Zéniths répartis sur le territoire. Le tout animé par environ 1 500 festivals musicaux annuels et 300 festivals spécialisés (théâtre, cirque, marionnettes, etc.).

Pour autant, cette densité ne gomme pas les disparités d’accès. En effet, une large part des programmations à fort rayonnement se concentre à Paris et dans les grandes métropoles. Le ministère de la Culture a donc mis en place le système SIBIL, destiné à recueillir les données de billetterie en temps réel, pour objectiver ces déséquilibres et réorienter les politiques publiques en faveur d’une meilleure répartition de l’offre artistique.

Fimalac Entertainment : une approche industrielle, mais 100 %française

Il faut bien avouer que dans ce paysage, Fimalac Entertainment incarne une singularité. Fondé et présidé par Marc Ladreit de Lacharrière, le groupe a constitué en moins d’une décennie un pôle de spectacle vivant totalement intégré et revendiqué comme 100 % français. Fimalac contrôle une trentaine de salles dont 23 sites en propre (Zéniths, théâtres, scènes de casinos), détient ou exploite des lieux emblématiques comme le Théâtre Marigny, la Salle Pleyel ou la Porte-Saint-Martin à Paris, et possède sa propre agence d’artistes, AS Talents, qui représente plus de 250 personnalités (Franck Dubosc, Christian Clavier, Angèle, Jean Reno…).

Le groupe du philanthrope Ladreit de Lacharrière, qui s’appuie également sur le réseau numérique Webedia pour promouvoir ses spectacles, revendique 220 millions d’euros de chiffre d’affaires et 800 emplois permanents. Son ambition ? Rester, selon les mots de son fondateur, « le fer de lance de la culture française dans le spectacle vivant », tout en soutenant un modèle collaboratif avec les producteurs indépendants.

Concentration, partenariat et adaptation stratégique

Fimalac a rapidement multiplié les acquisitions : billetterie, sociétés de production, théâtres, agences artistiques… Une croissance accélérée qui n’a, toutefois, pas été exempte de ratés : plusieurs comédies musicales comme « Timéo » ou « Les Trois Mousquetaires » ont été déficitaires, et certaines salles comme le Comedia n’ont pas trouvé leur positionnement. Un audit a été lancé, des directions ont été renouvelées, et la stratégie recentrée autour du spectacle musical, des concerts et des formats rentables comme les one-man-shows.

Mais contrairement à d’autres géants internationaux, Fimalac se veut fédérateur. Le groupe affirme ne pas imposer une logique d’intégration verticale comme Live Nation ou AEG, ces multinationales qui court-circuitent les promoteurs locaux et aspirent les ressources à coups de subventions et de partenariats exclusifs. Marc Ladreit de Lacharrière se dit attaché à un modèle fondé sur la mutualisation des outils (billetterie, logistique, communication), le respect de l’indépendance des producteurs, et l’émergence de scènes à forte identité culturelle.

Un rempart face à la mondialisation du divertissement ?

La montée en puissance de Live Nation et AEG sur le marché français, notamment via leur participation dans des festivals ou la gestion de salles comme Bercy ou la U Arena, inquiète de nombreux professionnels. L’ancien ministre de la Culture Jack Lang s’est d’ailleurs publiquement alarmé de « l’invasion des multinationales américaines dans la vie musicale française ». De son côté, Fimalac ne cache pas ses réserves sur ce modèle. Le groupe refuse de répondre aux appels d’offres des Arena de Nanterre ou de Bordeaux, préférant se positionner sur des salles à taille humaine et à vocation artistique claire. Il met également en garde contre le risque de voir les collectivités publiques devenir, volontairement ou non, les « sous-marins » de ces groupes étrangers, en leur confiant indirectement la gestion d’équipements subventionnés.

À l’opposé, le bébé du milliardaire ardéchois, Fimalac, se présente comme un acteur-pivot, capable de faire le lien entre les institutions, les artistes, les producteurs locaux et les publics, sans diluer l’ADN culturel français dans un modèle mondialisé et standardisé.

Un modèle à préserver entre service public et innovation privée

Le spectacle vivant en France évolue à la croisée de deux logiques, celle d’un service public profondément ancré dans les territoires, garant de la diversité et de l’accès à la culture, et celle de structures privées comme Fimalac, capables d’apporter une agilité, une capacité d’investissement et une expertise industrielle, tout en respectant l’indépendance artistique. Ce fragile équilibre est aujourd’hui menacé par une concentration économique brutale, une compétition mondiale exacerbée et des arbitrages budgétaires de plus en plus serrés. Pourtant, le spectacle vivant demeure un lieu de rencontre, de pensée, d’émotion partagée. Un espace démocratique que les chiffres ne suffisent pas à mesurer.

Entre ses festivals de rue, ses scènes nationales, ses Zéniths, ses cabarets, ses artistes itinérants ou ses stars de la scène, la France continue de faire vivre une tradition unique, fragile mais résiliente. Le défi ? Préserver cette vitalité en gardant le cap sur l’exigence artistique, la diversité des formes, l’équité d’accès… et la liberté de création !

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