Yves Guillemot défend le modèle d’Ubisoft au Sénat : entre fierté française et tensions internes

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Peut-on encore défendre un modèle d’entreprise dans le jeu vidéo quand les aides publiques sont remises en question ? C’est exactement ce qu’a tenté Yves Guillemot, président-directeur général d’Ubisoft, lors de son audition devant le Sénat. En tant que joueur, journaliste spécialisé, mais aussi simple citoyen curieux, je me suis posé cette question en découvrant les tensions entre performance économique, soutien étatique et réalité sociale au sein d’Ubisoft.

Aides publiques perçues par Ubisoft en 2023-2024

Type d’aideMontant perçu (€)
Crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV)24,1 M€
Crédit d’impôt recherche3,6 M€
Autres crédits (animation, mécénat, international)3,2 M€
Subvention régionale Nouvelle-Aquitaine600 000 €
Allègements de charges sociales6 M€
Aides à l’apprentissage300 000 €
Total38,4 M€

Un pilier de l’industrie vidéoludique française

J’ai grandi avec les Lapins Crétins et vibré sur chaque nouvel Assassin’s Creed. Derrière ces titres cultes, il y a une entreprise française fondée en Bretagne qui emploie 17 000 personnes dans le monde, dont 4 000 en France. Yves Guillemot l’a rappelé au Sénat : Ubisoft est un fleuron qui exporte 95 % de sa production, et ce, sans jamais délaisser ses racines hexagonales.

En chiffres, cela donne 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, principalement réalisés à l’international. Mais ce succès ne tient pas uniquement à la créativité de ses équipes : il repose aussi sur des dispositifs comme le crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV), sans lesquels Ubisoft n’aurait pas pu maintenir un tel niveau de compétitivité.


Le crédit d’impôt jeu vidéo : levier ou dépendance ?

Yves Guillemot n’a pas éludé la question : oui, Ubisoft reçoit des aides publiques. Mais il les assume et les défend comme des instruments stratégiques.

Pourquoi ?

  • Elles créent et préservent des emplois qualifiés en France
  • Elles permettent de développer des technologies propriétaires, comme les moteurs Anvil ou Snowdrop
  • Elles attirent des talents et encouragent l’essaimage entrepreneurial (des anciens créent leurs propres studios)

Et franchement, quand on compare à ce qui se passe au Canada ou en Allemagne, il devient clair que la France joue une partie serrée. Le CIJV, plafonné à 6 M€ par studio, est un outil ciblé, conditionné, et selon Guillemot, redoutablement efficace.


Mais à quel prix social ?

C’est là que les choses se compliquent. Je discutais récemment avec un développeur qui a quitté Paris pour travailler à distance. Il m’a confié avoir vu sa vie transformée par le télétravail. Et pourtant, Ubisoft a décidé de réduire cette possibilité à trois jours de présence par semaine. Ce retour forcé au bureau a mis le feu aux poudres.

Les syndicats dénoncent :

  • Une absence de dialogue réel
  • Des pressions internes lors des négociations
  • Une vision centralisée et peu adaptée aux réalités locales

Le mot est lâché : « foutage de gueule ». Il revient souvent dans les témoignages des salariés. Et même si Ubisoft se veut rassurant, en promettant de ne pas forcer les retours en présentiel à 100 %, la défiance reste palpable.


Le défi de la souveraineté dans un marché mondialisé

Un autre point qui a fait tiquer les sénateurs, c’est l’entrée de Tencent à 25 % dans une filiale regroupant les licences Assassin’s Creed, Far Cry et Rainbow Six. Guillemot a précisé que la maison mère gardait 75 % du capital et le pouvoir décisionnel. Mais cela soulève une inquiétude légitime : la France peut-elle conserver la main sur ses pépites culturelles dans un monde hyperconcurrentiel ?

Je vois ce genre de décisions comme des signaux faibles : on parle ici de soft power, de souveraineté technologique, mais aussi d’indépendance stratégique. Et dans un secteur aussi dynamique que le jeu vidéo, chaque pourcentage de capital compte.


Un équilibre à repenser

Ce que cette audition a mis en lumière, c’est une tension permanente : comment concilier soutien public, compétitivité internationale et conditions de travail dignes ?

Pour avancer, Guillemot propose quelques pistes :

  • Maintenir le CIJV, mais en renforcer l’évaluation
  • Préserver une stabilité réglementaire, indispensable aux investissements
  • Favoriser un dialogue social plus ouvert, en phase avec les attentes des salariés

Les défis d’une industrie

Au fond, la défense du modèle d’entreprise d’Ubisoft devant le Sénat est une métaphore des défis qui touchent toute l’industrie du jeu vidéo : réussir sans perdre son âme, innover tout en protégeant ses équipes, recevoir sans abuser. Yves Guillemot a défendu avec vigueur un modèle qui, malgré ses failles, continue de porter l’ambition française sur la scène mondiale. Et si l’on veut que la France reste un leader du jeu vidéo, le modèle d’entreprise d’Ubisoft, tel qu’il a été défendu devant le Sénat, mérite sans doute d’être affiné… mais sûrement pas abandonné.

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Cédric Arnould - Rédacteur High Tech / Jeux Vidéo / Arnaques

Rédacteur spécialisé en internet, technologie, jeux vidéo et divertissement numériques. Informaticien de métier, geek par passion !