Notre nation, qui se vante d’être celle des lumières, a mis officiellement un terme, à toute exploitation de l’homme par l’homme, par le décret d’abolition de l’esclavage en France, qui remonte au 27 avril 1848. Nous constatons cependant avec beaucoup d’amertume que ce fléau existe encore, souvent caché, pourtant omniprésent, en France, même à l’aube de ce millénaire. Notre nation mériterait-elle ainsi un bonnet d’âne pour sa négligence avérée vis-à-vis d’un esclavage moderne qui sévit au sein même de son territoire ? N’est-elle plus, que de façon illusoire, la patrie originelle des droits de l’homme ? Les moyens déployés, pour lutter contre la traite des êtres humains, pourtant juridiquement existants et disponibles, se révèlent insuffisamment utilisés à bon escient , avec un volet répressif des plus minimes : 420 affaires de traite ont été recensées en 2013 par les services judiciaires et 728 individus ont été condamnés cette même année. Ce constat d’échec repose sur trois piliers : le mutisme qui prévaut hélas chez les victimes ainsi que les enquêtes qui piétinent avec une magnanimité condamnable moralement vis-à-vis des promoteurs de l’esclavage moderne et enfin pour clore la parenthèse honteuse une proportion lilliputienne de magistrats formés contre la traite des êtres humains (seulement 20 sur un total de 7 000 en France). Ces statistiques peu glorieuses ont été épinglées par une instance spécialement sollicitée pour ses conseils avisés et qui vient de dévoiler une série de 58 recommandations pour lutter plus efficacement contre ce phénomène : nous sommes confrontés à une réalité sociétale âpre, qui nécessite une mobilisation forte et ad hoc, ce que souligne de façon appuyée, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans un rapport publié ce jeudi 10 mars.
La traite des être humains en France revêt des visages différents se heurtant beaucoup à notre indifférence
Beaucoup d’idées reçues persistent : ainsi à la seule prononciation du terme « exploitation », nous pensons tout de suite et de façon quasi-exclusive au marché illicite du sexe (prostitution et proxénétisme). Il est vrai que ce dernier représente 80% des infractions appliquées, les autres échappant trop, partie immergée de l’iceberg dérivant des inégalités, à une répression méritée. Le rapport met en lumière les visages surnuméraires de l’utilisation abusive ainsi qu’exclusive d’autrui le plus souvent à des fins pécuniaires : adultes ou enfants obligés de se prostituer, esclaves domestiques, migrants sous-payés dans des ateliers clandestins, mineurs voués de façon inadmissible et précoce à la mendicité ou pouvant être de parfaits primo-délinquants instrumentalisés. « Si l’exploitation sexuelle est une forme importante d’exploitation, elle ne recouvre pas l’ensemble des phénomènes » note la collégiale CNCDH. « Loin des idées reçues, l’esclavage moderne existe dans notre pays, de même que le travail forcé de personnes vulnérables, et que nombre d’enfants et d’adolescents sont contraints à mendier ou à voler ». Nous ne pouvons plus adopter la politique de l’autruche et pêcher par excès de laxisme vis-à-vis d’un phénomène qui risque de nous échapper : il y a une urgence impérative à réagir de la part des pouvoirs publics et la conscience citoyenne doit ouvrir ses yeux en grand.
Un premier plan de lutte contre l’esclavage moderne au bilan terne et les vives suggestions de la CNCDH
Mais qu’attend l’Etat pour passer à l’offensive contre des conditions humaines si abusives ? La CNCDH s’indigne de cette inertie presque totale : « Au moment où ce rapport est publié, la France n’est toujours pas dotée d’une politique publique à part entière de lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains ». Un plan d’action national a certes été lancé en 2014, avec la CNCDH qui a hérité du mandat de rapporteur national indépendant : ceci équivaut à un droit de regard dont elle ne s’est pas privée concernant ce plan rimant pour l’instant avec du flan. Le constat est en effet très mitigé par rapport aux ambitions du texte : « bon nombre de mesures n’ont à ce jour pas été mises en place », pour citer cette institution référente. Pour elle, afin de débloquer la situation sévèrement au point mort, les pouvoirs publics doivent être le moteur exemplaire de ce combat contre l’injustice et financer des actions coordonnées : poursuite des auteurs de la traite, démantèlement des réseaux, prise en charge psychologique des victimes, surtout les mineurs impuissants qui « doivent toujours être considérés comme victimes, et non comme délinquants ou migrants irréguliers ». Le mois dernier, Europol s’alarmait de la disparition de 10 000 enfants réfugiés en Europe et pouvant alimenter à la fois les ateliers clandestins et être les jouets sexuels pervers de pédophiles.
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